Toutes les femmes sont des aliens

Si vous trainez souvent dans les librairies (comme moi), ce titre un peu provocateur ne vous aura pas échappé. On s’attend à trouver un pamphlet féministe, et à la place on découvre une quatrième de couverture plutôt ambitieuse qui nous promet de belles révélations sur fond de blockbusters :

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Le mystère Henri Pick / Foenkinos

Dans un petit village de Bretagne, une drôle d’initiative a vu le jour : une bibliothèque des manuscrits refusés par les éditeurs. Les auteurs en peine peuvent s’y rendre en pèlerinage, et trouver enfin le repos, en venant s’y délester des romans que les éditeurs n’ont pas voulu publier.

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L'écriture libératrice de Laurence Finet

 

« Et je renaîtrai de mes cendres », c’est le titre flamboyant du livre que je reçois par la poste. Quand j’ai reçu le mail de Babelio me proposant de le lire j’ai été intriguée par une description qui me promettait de changer mon point de vue sur la vie et de me faire prendre une grande bouffée d’air. Mais n’est-ce pas l’effet que voudrait produire chaque oeuvre ?

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La femme au carnet rouge / Laurain

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Un matin, Laurent trouve sur une poubelle, dans la rue, un sac de femme. Apparemment abandonné, l’objet l’invite et Laurent se lance sur les traces de sa mystérieuse propriétaire. Mais le sac d’une femme est l’antichambre de sa vie intime et secrète; une fois que Laurent a mis le pied dans la vie de l’inconnue tout s’enchaîne.

L’intrigue, ô combien romantique (un inconnu, une inconnue qui se matérialise en portrait chinois grâce au contenu de son sac à main, une quête) semble avoir inspiré plus d’un auteur. Nous avions déjà suivi une enquête similaire dans le Liseur du 6h27 où le héros se sauve de son quotidien morose grâce à une clef USB trouvée dans le RER. Tout annonçait ici aussi la rencontre miraculeuse d’un anti-héros ordinaire avec l’ inconnue qu’il apprend à apprivoiser par sa présence en creux.

Car ici comme dans le roman de Didierlaurent, la future rencontrée (Laure) se définit par son absence. C’est la forme de sa non-présence qui crée la tension : remontant le fil à partir de textes où d’objets, l’homme reconstruit l’image de plus en plus présente et nette de l’inconnue. La découverte hasardeuse prend la forme de la quête existentielle avant de prendre celle de l’obsession.

De nombreux parallèles unissent Laurent et Laure dont les noms sont si proches. Le carnet rouge, retrouvé dans son sac, dans lequel cette dernière se confie, fait écho au Cahier rouge, nom de la librairie que Laurent tient et qui fait également office de planche de salut pour ce reconverti. La rencontre qui tarde à venir (aura t-elle lieu?) n’est plus si évidente mais permet l’exploration d’une palette de sentiments et de situations que j’ai trouvés fins. Ce qui était le point de départ du roman – la découverte du sac, l' »acte citoyen » de le rendre à sa propriétaire – devient un prétexte, et c’est réellement à partir de ce moment que le roman décolle, à mon sens. S’affranchissant du devoir de nous livrer une belle rencontre mielleuse et providentielle, l’auteur se libère et son ton devient plus mutin, plus frais.

En tant que femme j’ai aimé le regard que porte le personnage principal sur l’univers féminin. Cette retenue vis-à-vis du sac de la femme, si jalousement gardé, si mystérieusement organisé. Le sac, ici vecteur de la rencontre et initiateur de l’action dans le roman, est décrit comme un univers en soi. L’homme, lui, est tenu à l’écart du précieux par une forme de peur sacrée, transmise aux petits garçons par leurs mères puis leurs femmes. L’intrusion de Laurent dans le sac de l’inconnue est nécessairement le début d’une aventure qui sort de l’ordinaire. (J’ai aussitôt repensé à ce petit essai, lu l’année dernière, sur les sacs des femmes et le rapport quasi mystique qu’elles entretiennent aux objets qui les habitent.) Cette naïveté des hommes vis-à-vis des objets dont les femmes ne peuvent se séparer est touchante.

D’ailleurs le roman lui-même est touchant, à l’image de Laurent qui est délicat et prévenant. L’ensemble mélange savamment élégance et humour. Ce qu’il y a de génial avec la littérature, c’est que souvent elle est écrite par des passionnés de littérature, eux-mêmes lecteurs. Du coup c’est un vrai délice de trouver entre les pages des livres l’univers que nous affectionnons en tant que lecteurs. Ici, comme dans Le liseur du 6h27, la littérature occupe une place prépondérante, entre Modiano qui aide à identifier physiquement l’inconnue et la librairie que tient Laurent. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire devant les quelques lignes consacrées aux travers des auteurs :

En panne dans son récit, il pouvait passer le reste de sa journée devant son écran d’ordinateur à surfer sur le Web […]. Aussi tapait-il, comme tous ses semblables, son nom et le titre de ses romans, guettant les critiques sur les blogs et sites littéraires, souriant à une bonne et pestant contre une mitigée qui s’achevait par l’insultant « ce roman ne me laissera pas un grand souvenir ». Parfois, sous couvert de pseudonymes, il en écrivait lui-même sur Fnac.com […]. Récemment il s’était même aventuré […] à écrire sur Babelio.com « Pichier, le Goncourt, un jour peut-être? ».

La dérision qui se dégage des observations de Laurent/ du narrateur sur les auteurs est d’autant plus délectable que se dessine en filigrane l’esprit critique de Laurain vis à vis de son propre statut d’écrivain. La petite référence méta littéraire de la fin du roman m’a ravie, comme me ravissent toujours les auteurs qui placent une réflexion sur le statut de leur propre oeuvre.

Malgré mes quelques réticences du départ, j’ai été agréablement surprise par l’aisance de l’auteur à trouver un développement intéressant et novateur à son intrigue un poil commune au premier abord !

Le liseur du 6h27 / Didierlaurent

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Tous les matins c’est un étrange spectacle qui se déroule sous les yeux des voyageurs du RER : Guylain Vignolles, homme sans histoire à la vie monotone, fait la lecture aux passagers du train. Assis sur son strapontin, inamovible, il traverse son existence sans foi ni passion, accablé par le poids d’un travail sans humanité.

Car le travail de Guylain est la négation même de ce qu’il peut y avoir de richesse et de promesse dans une vie : toute la journée il travaille au service d’une machine monstrueuse, menaçante, qui détruit les livres invendus, livrés par camions entiers dans le hangar sordide où elle opère.

Jour après jour Guylain rend donc une partie de ce qu’il prend en libérant les quelques pages sauvées du massacre. Ce rituel de lecture il l’accomplit pour lui, pour faire taire sa conscience et rétablir son équilibre intérieur. Pourtant cela ne suffit pas à faire de sa vie un tout qui fasse sens et ce n’est que lorsque l’imprévu déboule dans son existence que Guylain se prend enfin en main.

Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écoeurement qui l’étouffait à l’approche de l’usine.

Par bien des aspects ce roman rappelle la série de Daniel Pennac (Au bonheur des Ogres etc.) : il donne corps et voix aux personnes ordinaires dont la vie s’écoule loin de toute velléité de gloire ou d’éclat. C’est plutôt entre deux RER et un déjeuner expédié dans la baraque du gardien que naviguent les personnages de ce roman. On retrouve une grande tendresse pour ces héros méconnus qui tentent de résister à la tyrannie d’un travail abrutissant, face à une hiérarchie brutale et aveugle. Comme les personnages de Pennac, à la fois attachants et uniques -sous des dehors de banalité, les personnages de Didierlaurent ne sont pas des héros romanesques.

Pourtant, ils se découvrent soudain la ténacité de persévérer et de se fabriquer une vie à la hauteur des rêves qu’ils n’ont jamais eus. Par dépit, faiblesse ou découragement ils se complaisaient dans leur existence étriquée, jusqu’à ce que surgisse le fameux élément perturbateur qui met en branle leur enthousiasme et les révèle au grand jour.Ils sont les chevaliers de leur vie mouvementée et de leur besoin vital de bonheur, de compagnie et de nouveauté.

Cette métamorphose est accomplie, de manière symbolique, mais aussi physique, par le pouvoir des mots. Les mots qui sauvent Guylain de l’ennui et de la détresse sont également ceux qui guérissent son ami accidenté du travail. Ultimement, c’est la quête inattendue de Guylain pour retrouver l’auteur de textes égarés qui lui permet de se libérer du joug de son quotidien pesant.

Sous des dehors de fable ou de conte ce petit roman s’annonce comme un bestseller de l’été.

Comment expliquer ce succès ?

Le côté profondément humain des personnages apporte une bouffée de réalisme qui nous rappelle que oui, les héros des romans peuvent parfois être des personnes ordinaires, avec des vies tout ce qu’il y a de plus normal.

Pour autant le sauvetage express de ces personnages un peu maussades apporte sa touche de gaieté et d’espoir dans le paysage morose d’une vie que nous pourrions tous vivre.

La personnalité de Jean-Paul Didierlaurent, l’auteur, n’est probablement pas étrangère à la bienveillance que l’on retrouve entre ses pages. Rencontré lors d’un événement organisé par Cultura, l’auteur s’est montré ouvert et humble face à nous autres lecteurs. C’est avec des étoiles dans les yeux qu’il nous a parlé de ce projet devenu papier, le succès annoncé auquel il n’aurait pas osé rêver. C’est une personnalité touchante qui a livré son amour des mots, des livres et des histoires.

Son roman est une douce parenthèse qui reste un peu ouverte sur le champ de nombreuses possibilités, réflexions et envies.

La petite foule / Angot

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Ce sont des hommes, des femmes, ils sont jeunes, vieux, ou entre deux âges, riches, puissants, pauvres, ou ni l’un ni l’autre, Christine Angot les passe, en radiologue du genre humain, à son laser, croisant leurs similitudes et leurs différences, perçant à jour leurs caractères, leurs solitudes, leurs émotions.

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En finir avec Eddy Bellegueule / Louis

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Sur la couverture cerclée de rouge s’étalent les grandes lettres noires, et ma première réaction est de regarder ces deux noms qui se font face et semblent se répondre l’un l’autre : Eddy Bellegueule versus Edouard Louis. Le combat d’une seule et même personne contre elle-même. Deux occurrences du même individu, à deux moments de sa vie, se jaugeant et se toisant au dessus du fossé qui les sépare maintenant l’un de l’autre.

« Pour la première fois mon nom prononcé ne nomme pas. » (Marguerite Duras) Voila l’épigraphe du roman.

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