Histoire d'un Allemand de l'Est / Leo

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Maxim Leo, une vingtaine d’années lors de la chute du mur de Berlin, a grandi en RDA. S’il a, a priori,  peu de raisons de rêver à l’Ouest, qu’on lui présente à l’école comme le paradis des fascistes et du capitalisme le plus abject, ses parents eux, ne sont pas des purs produits de la République Démocratique Allemande.

En réalité, c’est le lourd héritage d’une famille qui a traversé le début du vingtième siècle que Maxim Leo porte. Son histoire personnelle est également celle de cette famille qui a vécu le nazisme, la guerre, les camps et le communisme. En explorant les parcours individuels de ses parents, grands-parents et parfois arrières grands-parents, Leo se réapproprie sa propre vie et tente de donner sens à son propre parcours.

Or, on peut dire qu’il s’en est passé des choses dans sa famille.

Pour commencer il faut dissocier la branche maternelle de la branche paternelle : elles suivent à elles-seules des itinéraires pratiquement incompatibles. Avec son grand-père maternel Leo explore les thèmes de l’exil, de la résistance en France. Le danger mais aussi les coïncidences les plus heureuses jalonnent ce parcours irréel. Gerhard a fui l’Allemagne nazie avant que ses origines juives ne fassent de lui une cible du régime nazi. abandonnant tout il trouve, avec ses parents, refuge en France où il s’engage après l’armistice de 40 dans la résistance. Elle marquera son passage de l’enfance à l’âge adulte.

Avec son grand-père maternel, l’auteur navigue dans les eaux plus sombres du nazisme. Werner est un jeune homme qui vit ses meilleures années sous un régime qui se nourrit de la crise économique qui secoue le pays et s’attire la bienveillance du peuple en créant des emplois, améliorant la vie des allemands… Par ailleurs, la guerre ne touche que tardivement l’Allemagne sur son propre territoire. Ce n’est que durant les dernières années du conflit que Werner affronte réellement sa réalité. Finies les escapades au ski ou au bord de la mer. Finie la vie tranquille et les multiples opportunités que le nazisme offrait à Werner. S’ensuivent alors la mobilisation, la captivité en France durant de longues années, et finalement un retour « chez soi » aussi improbable que subit.

Hitler a relevé les petits, rapetissé les grands. Gerhard, le fils de grands bourgeois, a dû quitter le pays; Werner, le fils d’ouvrier, peut quant à lui profiter de la douceur de vivre.

Toujours, cette question du retour, du sentiment d’appartenance à un pays est posée. Comment se sentir chez soi dans un pays qui s’est illustré par sa foi en le national-socialisme (surtout après que l’horreur des méfaits commis par les nazis a explosé au grand jour) ? Comment peut-on parler de retour quand ce qu’on l’on retrouve est un autre pays qui tente de liquider les traces de sa culpabilité ?

Car il serait utopique de croire qu’après la guerre tous les nazis ont disparu. Bien au contraire, l’histoire de la famille de Leo est la petite histoire qui illustre à échelle réduite la grande Histoire. Celle de milliers de partisans, de fonctionnaires de l’énorme machine nazie qui retrouvent une place, sous de nouvelles identités, dans de nouvelles administrations cruellement en recherche de compétences.

La RDA est l’histoire d’un rêve, celui d’un pays duquel les fascistes sont officiellement bannis, en lisière du mur qui sépare bientôt Berlin en deux. Car voila ce que l’idéologie du Parti défend : le mur n’est qu’un rempart contre les fascistes et les capitalistes, tous dangereux, et tous envieux de la paix et de l’égalité qui règnent en RDA. C’est par le recours à des raccourcis qu’on élude les questions des petits curieux que ne se satisfont pas des réponses qu’on leur fait pourtant apprendre à la télévision, à l’école et dans les journaux, tous censurés et alignés sur le discours officiel, autrement dit, la propagande du Parti.

La république a des allures de monde Orwellien où les murs ont des oreilles et des yeux. Où dans les réunions clandestines six personnes sur dix sont des espions de la Stasi. Où vos collègues vous espionnent et rédigent des rapports interminables que vous lirez quelques années plus tard, probablement avec horreur, dans les dossiers de la Stasi rendus publics. Vous ne savez jamais vraiment où se situe la limite et vous frôlez la prison sans même le savoir, par des actes bénins.

Et pourtant, la RDA est aussi ce lieu à l’abri des événements récents, où ceux qui avaient perdu leur patrie (exil, condamnation des années du national-socialisme…) ont retrouvé une société dans laquelle s’investir. une société bercée d’idéaux nobles qui, au tournant de la seconde guerre mondiale, procurent de l’espoir et de l’optimisme nécessaires à la reconstruction, du pays.

La journée de sa libération a sans doute été pour Gerhard une seconde naissance. Le parti devient pour lui une sorte de communauté de destins, une famille qui, même des décennies plus tard, aura pour lui plus d’importance que tout le reste. Il lui consacre la vie qui lui a été offerte, et aucun doute ne sera jamais aussi fort que la reconnaissance et la joie qu’il a ressenties ce jour-là à la gare d’Allassac. D’autres sont devenus communistes parce qu’ils se sentaient attirés par l’univers intellectuel de ce parti. Pour Gerhard, c’est une affaire de vécu, de sentiment, d’amitié.

C’est au communisme, au parti, à leur patrie, que les parents de Maxim Leo donnent les meilleures années de leur vie. Son père artiste et sa mère journaliste puis historienne sont constamment tiraillés entre ces idéaux pour lesquels ils se donnent corps et âme d’un côté, et leur sens critique de l’autre. Eux qui ont fait de la RDA leur patrie pratiquement par hasard (ils s’y trouvaient au moment où le pays s’est fermé comme une huître), oscillent entre le bonheur que leur procure leur implication dans un modèle qu’ils croient juste, et la terreur que leur inspire un régime aussi peu démocratique et libertaire.

Pour ces personnes qui ont tout donné pour la réussite et la concrétisation des idéaux communistes, la chute du mur, la brutale disparition de la RDA sont l’effondrement de toute une vie. Tout à coup le pays n’existe même plus, soudain englouti par l’Allemagne de l’Ouest dont les habitants ne peuvent pas comprendre ce qu’ont vécu ceux de l’Est.

Entre préjugés, confusion, joie et peur s’improvisera alors la nouvelle Allemagne, celle que les gens de ma génération ont toujours connue.

Ce livre est un brillant témoignage sur l’histoire d’une Allemagne que le vingtième siècle a dotée d’une identité multiple, mouvante et difficile à appréhender, et où tout n’est ni tout blanc ni tout noir, et où les grands-pères sont des tombeaux dont il faut extraire les secrets avant qu’ils ne s’éteignent.