Le liseur du 6h27 / Didierlaurent

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Tous les matins c’est un étrange spectacle qui se déroule sous les yeux des voyageurs du RER : Guylain Vignolles, homme sans histoire à la vie monotone, fait la lecture aux passagers du train. Assis sur son strapontin, inamovible, il traverse son existence sans foi ni passion, accablé par le poids d’un travail sans humanité.

Car le travail de Guylain est la négation même de ce qu’il peut y avoir de richesse et de promesse dans une vie : toute la journée il travaille au service d’une machine monstrueuse, menaçante, qui détruit les livres invendus, livrés par camions entiers dans le hangar sordide où elle opère.

Jour après jour Guylain rend donc une partie de ce qu’il prend en libérant les quelques pages sauvées du massacre. Ce rituel de lecture il l’accomplit pour lui, pour faire taire sa conscience et rétablir son équilibre intérieur. Pourtant cela ne suffit pas à faire de sa vie un tout qui fasse sens et ce n’est que lorsque l’imprévu déboule dans son existence que Guylain se prend enfin en main.

Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écoeurement qui l’étouffait à l’approche de l’usine.

Par bien des aspects ce roman rappelle la série de Daniel Pennac (Au bonheur des Ogres etc.) : il donne corps et voix aux personnes ordinaires dont la vie s’écoule loin de toute velléité de gloire ou d’éclat. C’est plutôt entre deux RER et un déjeuner expédié dans la baraque du gardien que naviguent les personnages de ce roman. On retrouve une grande tendresse pour ces héros méconnus qui tentent de résister à la tyrannie d’un travail abrutissant, face à une hiérarchie brutale et aveugle. Comme les personnages de Pennac, à la fois attachants et uniques -sous des dehors de banalité, les personnages de Didierlaurent ne sont pas des héros romanesques.

Pourtant, ils se découvrent soudain la ténacité de persévérer et de se fabriquer une vie à la hauteur des rêves qu’ils n’ont jamais eus. Par dépit, faiblesse ou découragement ils se complaisaient dans leur existence étriquée, jusqu’à ce que surgisse le fameux élément perturbateur qui met en branle leur enthousiasme et les révèle au grand jour.Ils sont les chevaliers de leur vie mouvementée et de leur besoin vital de bonheur, de compagnie et de nouveauté.

Cette métamorphose est accomplie, de manière symbolique, mais aussi physique, par le pouvoir des mots. Les mots qui sauvent Guylain de l’ennui et de la détresse sont également ceux qui guérissent son ami accidenté du travail. Ultimement, c’est la quête inattendue de Guylain pour retrouver l’auteur de textes égarés qui lui permet de se libérer du joug de son quotidien pesant.

Sous des dehors de fable ou de conte ce petit roman s’annonce comme un bestseller de l’été.

Comment expliquer ce succès ?

Le côté profondément humain des personnages apporte une bouffée de réalisme qui nous rappelle que oui, les héros des romans peuvent parfois être des personnes ordinaires, avec des vies tout ce qu’il y a de plus normal.

Pour autant le sauvetage express de ces personnages un peu maussades apporte sa touche de gaieté et d’espoir dans le paysage morose d’une vie que nous pourrions tous vivre.

La personnalité de Jean-Paul Didierlaurent, l’auteur, n’est probablement pas étrangère à la bienveillance que l’on retrouve entre ses pages. Rencontré lors d’un événement organisé par Cultura, l’auteur s’est montré ouvert et humble face à nous autres lecteurs. C’est avec des étoiles dans les yeux qu’il nous a parlé de ce projet devenu papier, le succès annoncé auquel il n’aurait pas osé rêver. C’est une personnalité touchante qui a livré son amour des mots, des livres et des histoires.

Son roman est une douce parenthèse qui reste un peu ouverte sur le champ de nombreuses possibilités, réflexions et envies.

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